Elu à la municipalité de la ville de Prilly, Ihsan Kurt estime que le système de milice arrive en bout de course. Que c’est une manière de gouverner «à la façon des siècles passés». Pour faire notamment face à la charge de travail en augmentation, professionnaliser les exécutifs s’impose, selon le socialiste
Toujours aussi dynamique, la Suisse est en pleine croissance. Sa population dépasse doucement les 9 millions d’habitants. Dans ce contexte, la gouvernance de nos villes en plein essor économique, culturel et social se complexifie. La tradition politique de milice se retrouve confrontée à de nouvelles exigences impliquant un engagement accru et des responsabilités toujours plus lourdes pour les élus aux exécutifs. L’administration de nos villes doit faire face à de nombreux défis: mutations sociodémographiques, progrès sociologiques, multiplications des mandats sur la durée ou encore attentes en matière de transparence.
Isan Kurt, municipal socialiste
Instauré au XIXe siècle, le système de milice disparaît progressivement au sein des exécutifs des villes et les profils sociologiques des élus s’adaptent (trop) lentement. Le pouvoir reste encore aux mains de l’élite libérale et bourgeoise qui offre une forte résistance à l’évolution sociodémographique. Fortement attachés à la tradition de la milice, des notables – ironiquement surnommés «shérifs de village» – veulent continuer à gouverner à la façon des siècles passés des villes multiculturelles, riches en transformations économiques et sociales.
Copinage, clientélisme,
manque de respect des normes et des procédures
Or cette gouvernance à l’ancienne peut causer des dérives autoritaires, affaiblir la transparence et créer certaines dépendances. Sans parler des conflits d’intérêts à l’égard des milieux économiques et politiques. Un municipalisme du XXe siècle, peu adapté aux réalités sociologiques des villes, peut aussi avoir d’autres conséquences néfastes: mettre en cause la pratique démocratique elle-même, et porter atteinte à l’image des villes.
Mais ce n’est pas tout. Elle impacte aussi le style de management qui fait la part belle au copinage, au clientélisme, au manque de respect des normes et des procédures. Les normes ne deviennent nécessaires que quand elles sont utiles au confort et aux intérêts politiques des «notables» et des «élites à l’ancienne», qui se composent plutôt d’individus aisés, de chefs d’entreprise et d’indépendants. Leur situation matérielle leur permet d’occuper des mandats prestigieux, tout en facilitant leur réseautage économique.
Les intérêts des milieux économiques que ces élus défendent leur donnent un prestige rémunéré et permettent de rester au pouvoir pendant des décennies. Ils mettent souvent en avant une apparente «fibre sociale» pour rassurer leur électorat, de manière paternaliste et pour soigner leur image.
Professionnaliser les exécutifs face à la charge de travail
La gouvernance à l’ancienne, opposée à l’innovation, ainsi que la durée des mandats posent des problèmes de management aux nouvelles générations de cadres professionnels bien formés dans nos hautes écoles. Les élus vissés sur leur siège de l’exécutif plus de trois mandats se transforment aussi souvent, de fait, en une barrière à l’égalité des chances et posent un problème de renouvellement. Cette génération ne s’y retrouve plus car elle ne peut s’identifier à ce style de gouvernance. Cela décourage notamment les jeunes, et les nouveaux citoyens, qui attendent leur tour afin de faire leur expérience dans l’exécutif de leurs villes.
Enfin, si la politique de milice à l’exécutif, notamment dans les villes, est une tradition à réviser, le nombre de mandats et l’âge doivent aussi être réformés pour adapter notre démocratie à la réalité sociologique du XXIe siècle. Pour résoudre le problème de la participation et la représentativité dans la vie politique, les partis doivent garantir l’égalité de traitement et la présence de toutes les couches sociales, des jeunes, des femmes, des personnes issues de la migration. Il faut leur offrir une chance pour faire leurs expériences dans les exécutifs du premier échelon institutionnel: la commune.
C’est le rôle des acteurs politiques que de favoriser l’accès au pouvoir communal, tout en tenant compte du changement et du progrès dans nos villes. Il s’agit aussi de garantir une démocratie moderne et inclusive. La charge de travail en augmentation montre bien la nécessité de professionnaliser les exécutifs. Les formations sur la collégialité, les institutions, le management ainsi que les progrès sociaux et technologiques devraient être introduits dans les cursus pour les élues et les élus à l’exécutif.
Ihsan Kurt
Municipal à Prilly