Fin février, nous avons tous été choqués par la découverte du corps sans vie d’une femme dans un conteneur à vêtements à Lausanne. Un accident, selon la police. Ce conteneur était destiné à la récupération des vêtements usagés, dont on renvoie une grande partie vers les pays pauvres, notamment extra-européens, via des organisations humanitaires. Une autre partie de ces habits sont revendus dans des boutiques de seconde main, ou des vestiaires d’organisations caritatives.
Quand on évoque la précarité, les premiers besoins auxquels on pense sont de la nourriture et des habits pour des pays lointains. Difficile en effet d’imaginer la pauvreté dans nos villes modernes.
«Une femme de 36 ans, mère de deux enfants, […] cherchait de quoi assurer son pain quotidien dans le fond d’un conteneur.»
Du fait de notre réputation, on croit qu’en Suisse personne ne meurt de faim ni de froid. Pourtant une femme de 36 ans, mère de deux enfants, à l’aide sociale et ayant des problèmes de santé, cherchait de quoi assurer son pain quotidien dans le fond d’un conteneur. Cette mort m’a rappelé un autre décès tragique: en décembre 2001, une sans-abri avait succombé au froid dans des toilettes publiques au centre-ville de la capitale vaudoise.
Dans certaines cultures, on dit «les morts partent pour échapper à leur chagrin, mais ce sont leurs proches vivants qui souffrent de leur départ». Bouleversée par cette mort dans le conteneur, une amie très proche de la victime postait sur Facebook, «Qu’on partage le pain en son honneur.»
Pourtant, avec plus de 78’000 dollars de revenu par habitant, la Suisse se classe au 5e rang des pays les plus riches du monde en termes de PIB. Dans son rapport annuel de mi-mars 2022, le World Happiness Report (WTR) relevait que la Suisse se classe au 4e rang des pays où les gens sont les plus heureux. Pour réaliser son classement, le WTR évalue le niveau de solidarité, de liberté individuelle et d’honnêteté des gouvernants pour attribuer une note globale. Si les pays scandinaves obtiennent des résultats plus élevés, c’est parce qu’au niveau du revenu, de l’espérance de vie, des prestations sociales, du sentiment de liberté et de la confiance à l’État, ils ont des scores plus élevés dans le sondage.
Davantage de justice sociale
«Partager le pain», partager les richesses du pays de manière équitable et démocratique, c’est une valeur de solidarité, un principe de l’État social que les Suisses ont toujours défendu. Preuve en est la solidarité vécue durant les vagues successives de Covid et actuellement avec les réfugiés ukrainiens. Un dicton de la sagesse orientale dit «Vous ne pouvez pas dormir confortablement pendant que votre voisin se couche affamé.»
Dans un contexte où le fantôme du Covid traîne encore et où des milliers de réfugiés ukrainiens cherchent protection, il faut encore plus de solidarité et de justice sociale pour éviter que les plus démunis meurent de pauvreté en Suisse.
Un pays riche et heureux, c’est aussi un pays où la mort est paisible et digne.
Ihsan Kurt
Conseiller municipal
Texte paru dans la rubrique «Opinions» du 24 Heures du 28 mars 2022