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Ihsan Kurt: quand un élu devient le fusible d’une crise systémique

par | 20 décembre 2025 | Non classé

Suspendu par le Conseil d'État à la demande de la Municipalité, le municipal socialiste est la victime expiatoire des dysfonctionnements de l'exécutif prilléran et de son syndic.

La suspension d’Ihsan Kurt de la Municipalité de Prilly, décidée en juin 2025 puis confirmée en septembre, est officiellement la réponse à un «débordement» survenu le 2 mai dernier dans le bureau du syndic Alain Gilliéron. À la lumière de l’enquête administrative de Roland Borloz, préfet du Pays d’Enhaut, de l’audit Compas et des interventions de la préfecture, elle apparaît pourtant surtout comme la mise à l’écart d’un élu dans une crise qui dépasse de loin sa seule personne.

Un exécutif fragilisé avant l’incident

L’arrêt de la Cour de droit administratif et public (CDAP) du Tribunal cantonal reconnaît que des conflits internes ont émaillé la législature 2021–2026 et que le fonctionnement de la Municipalité «n’était pas serein » déjà en 2022. Le malaise est donc ancien et structurel.
L’enquête du préfet du Pays d’Enhaut, met en lumière des pratiques discutables en matière de dépenses et de marchés publics : décisions prises sans délibération formelle, engagements financiers validés de manière informelle, confusion dans les rôles entre syndic, municipaux et administration. L’audit Compas décrit un climat tendu, des responsabilités politiques floues et une direction stratégique hésitante. On est face à un problème de gouvernance, pas à la dérive isolée d’un seul municipal.

 

Le 2 mai 2025 : une altercation, pas un crime d’État

Personne – pas même Ihsan Kurt – ne nie que l’échange du 2 mai a été houleux. La version d’Ihsan Kurt replace toutefois l’épisode dans son contexte : fête nationale fortement politisée, ordres et contre-ordres adressés directement aux chefs de service, convocation de ceux-ci en Municipalité pour des questions logistiques, vécue comme une mise sous tutelle de son dicastère.

Ihsan Kurt reconnaît avoir haussé le ton et regretté certains mots. Il décrit une altercation brève, sans coups ni dégâts. Sa version figure dans le procès-verbal du 5 mai signé par toute la Municipalité et le préfet. Au moment où le Conseil d’État prononce la suspension, aucune instruction pénale n’est ouverte : la plainte est simplement en cours de traitement. L’épisode est critiquable, mais la question est de savoir s’il atteint le seuil de gravité qui permet d’écarter un élu choisi par le peuple.

 

Un outil d’exception utilisé comme arme politique

L’article 139b de la loi vaudoise sur les communes autorise la suspension d’un membre d’exécutif en présence de «motifs graves », citant notamment l’ouverture d’une instruction pénale pour crime ou délit, une incapacité durable ou des violations lourdes des règles sur les conflits d’intérêts. L’intention du législateur est d’offrir un garde-fou dans des cas extrêmes où l’État de droit est directement menacé, pas de gérer des conflits de personnes.

Dans ses déterminations, Ihsan Kurt, par la voix de son avocat, rappelle que la simple existence d’une plainte ne suffit pas ; il faudrait au moins une instruction formellement ouverte. Il souligne aussi que le législateur a renoncé à faire de la « perturbation des relations avec les homologues » un motif autonome de suspension, préférant laisser ces questions au peuple dans le cadre d’une éventuelle révocation.

Le Conseil d’État, suivi par la CDAP, adopte pourtant une interprétation maximaliste : l’altercation du 2 mai suffirait à elle seule à constituer un « motif grave », et les problèmes prillérans ne seraient « ni politiques, ni structurels, ni systémiques », mais imputables à un unique municipal. Une telle lecture occulte les constats des rapports officiels et transforme un dispositif d’exception en instrument d’élimination politique.

 

Défendre Ihsan Kurt, défendre la démocratie locale

Soutenir la position d’Ihsan Kurt ne revient pas à banaliser ses excès verbaux. Il les a reconnus, et il en paie le prix en renonçant à se représenter en 2026, malgré son bon bilan politique. Il s’agit de rappeler des principes simples : la suspension d’un élu par le gouvernement cantonal doit rester une mesure d’ultime recours, strictement encadrée ; lorsqu’une crise est manifestement structurelle, il est dangereux de la réduire à la personnalité d’un seul municipal ; dans une démocratie locale, le dernier mot sur la poursuite d’un mandat devrait, autant que possible, revenir au corps électoral.

En faisant d’Ihsan Kurt le seul responsable d’une « législature du chaos », on masque les failles profondes de la Municipalité de Prilly et on envoie un signal inquiétant à ceux qui oseraient questionner des pratiques bien établies. Défendre sa position, ce n’est pas nier les tensions ; c’est exiger que les instruments juridiques d’exception ne servent pas à régler des comptes, mais à protéger l’État de droit et la confiance de la population dans ses institutions.

 

La «législature de la transition»

Certains préfèrent parler de «législature de la transition». Et en effet, notre commune passe de rurale à urbaine, sort du XXe siècle pour s’engouffrer dans le XXIe. Une crise en soi n’est pas grave pour l’institution, elle permet de remettre en question des habitudes et des pratiques qui n’ont plus lieu d’être en raison des évolutions de la société. Gageons que grâce à Ihsan Kurt, notre commune en sortira grandie, modernisée et prête à affronter les défis à venir.

Thématiques: 2025Ihsan KurtMunicipalité